Bereshit (1988)
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Je voudrais commencer en introduction par analyser un problème qui se pose souvent chez les Méfarshim (les commentateurs) à différents niveaux, mais la plupart du temps en filigrane comme une chose qui va de soi et qu’il n’est pas nécessaire de développer. Mais il semble qu’avec le temps pour la culture contemporaine c’est quelque chose qui ne va plus de soi bien qu’il y a une certaine pudeur qui cache le sujet : il semble y avoir un contraste tellement violent que finalement on n’ose pas en parler, entre la manière dont les premiers récits de la Torah décrivent l’état du monde à sa création et en particulier l’expression Gn. - Vayar Elohim… ki tov : et Dieu vit… que bon - expression sur laquelle le Maharal en particulier a consacré énormément d’enseignements. Pour comprendre Vayar Elohim… ki tov et son terme de Tov appliqué à l’état du monde à sa création, il faut le comprendre bien évidemment en hébreu : cela signifie que cela méritait d’exister. Est appellé « Tov - bon » dans ce contexte ce qui mérite l’existence, ce qui mérite l’être.
Il y a une dimension métaphysique qui dépasse absolument un simple jugement qualitatif d’une qualité qui s’ajouterait à l’existence : une existence bonne. Mais au début dans le 1er chapitre il n’y a pas du tout allusion au terme de Râ mauvais qui s’oppose au terme Tov (bon). Et donc il y a un sens beaucoup plus profond à cette expression « Vayar Elokim et kol asher assa vehiné tov meod ». « Et que Dieu a jugé que ce qu’il a créé était bon » : le terme de bon – Tov - n’est pas ici simplement un adjectif qui s’ajoute à la substance de l’être (je fais allusion à l’expression grammaticale du substantif et de l’adjectif), mais c’est un terme qui désigne ce qui mérite d’être. Il a donc un sens total.
Une des indications que le Maharal a donné à ce jugement que Dieu porte sur sa création au commencement d’une part, et d’autre part le contraste qu’un tel jugement et ce qui ressort de la lecture de ce texte qui rend compte que c’est Dieu qui a créé le monde, avec l’état du monde tel que nous le connaissons.
Il y a un contraste tellement violent que il y a eu dans ce qu’on appelle en général la théologie, une branche d’étude qui se nomme la théodicée et qui est une tentative de justifier Dieu d’avoir créé le monde. Une sorte de louange a posteriori, un peu d’ordre apologétique, de justifier Dieu quand même d’avoir créé le monde étant donné l’état du monde.
Je voudrais commencer par une analyse à ce sujet sur le texte.
Ceci nous renvoit à une catégorie philosophique que je vais formuler en deux termes philosophiques classiques : la dichotomie qu’il y a entre la vérité et la réalité.
Le monde en vérité est absolument bon. Leibniz disait du monde qui est le nôtre que c’est « le meilleur des mondes possibles ». Mais une fois confronté à la réalité, il semble qu’on ne comprenne pas ce que Leibniz voulait dire. Et ce que signifie le Maassé Béréshit (l’œuvre de la création) en disant « ki tov - que bon » ?
Il y a une séparation de ces 2 catégories : la vérité et la réalité.
J’ai l’habitude de dire sur ce sujet en schématisant mais pour aller à l’essentiel : tout se passe comme si – c’est une nuance qui n’est même pas restrictive - la tradition d’Israël, par rapport à ce problème, est d’un côté et tout le reste du monde de l’autre. Nous sommes dans un monisme intégral avec la tradition hébraïque, et partout ailleurs c’est du dualisme de façon plus ou moins insidieuse ou subreptice : Il n’y a aucune conciliation possible entre la vérité et la réalité et c’est la catégorie fondamentale de toute philosophie : toute philosophie qui commence par être dualiste ; et même lorsqu’elle a une visée moniste, elle reste quand même malgré tout aux prises avec ce problème du dualisme entre la vérité et la réalité. J’en donnerai un exemple concret dans l’étude du texte lui-même.
Alors que le parti-pris de l’option de foi hébraïque c’est que c’est le même Créateur qui fait exister la vérité dans sa perfection d’absolu - ou dans son absolu de perfection - et la réalité dans son absolu d’imperfection.
C’est ce constraste entre la vérité et la réalité qui fait que le monothéisme de la bible n’est pas naturel, ni spontané à la pensée humaine. C’est une révélation !
Ce contraste nous le vivons entre l’idéal et la réalité si vous voulez, et nous le vivons en particulier dans l’espérance de la foi dans la définition du monde en tant que Olam Hazeh, עולם הז ce Monde-ci, comme il est, et la définition de ce même monde en tant que Olam Haba עולם הבא - le monde qui vient. (Olam haba non pas « le monde à venir » parce que c’est un verbe transitif : donc « le monde qui vient », « en train de venir ». On doit à Edmond Fleg, cette expression de « Monde qui vient »).
Ce Monde-ci, עולם הז, tel qu’il est, est l’antichambre, la préface, le prozdor פרוזדור (comme nous le disons en hébreu avec un mot grec) du Olam Haba עולם הבא - le monde qui vient.
Ce monde-ci (Olam azé- עולם הז) ressemble à un vestibule (PROZDOR- פרוזדור) face au monde en devenir (Olam aba- עולם הבא). Prépare toi dans le Prozdor afin d'entrer dans le Olam aba". Pirqey Avot - Michna IV, 21
Pour nous, c’est le même monde à deux niveaux différents : le niveau de la réalité et le niveau de la vérité.
En vérité, dans le projet du Créateur c’est le Olam Haba qui a été voulu, et il existe déjà en tant que
Projet, puisqu’il a été projeté. Et ce monde de Olam Haba, le monde en vérité, il est inutile de dire que à ce niveau-là il n’y a aucun problème de contraste entre vérité et réalité, puisque la vérité est réelle et la réalité est vraie, à ce niveau de Olam Haba, c’est le Olam de la Maharshavah, le monde de la pensée du Créateur, lorsqu’il a pensé le monde. (Maharshevet HaBoré).
A ce niveau, nous sommes en plein dans le monde du Tov absolu. Il n’y a aucune trace, même pas à la racine, de ce qui sera beaucoup plus bas dans la réalité ce que nous appelons le Râ - le mal.
Il faut pour cela descendre très bas dans la réalisation de ce projet de vérité pour qu’apparaisse le mal. Et c’est un mystère pour les philosophes, c’est un des sujets secrets les plus importants de la Qabalah, de savoir comment depuis ce monde que Dieu a voulu et qui est dans la volonté de Son projet - et donc Son projet de volonté, absolument bon, et absolument vrai - finalement devenant réel, il fait apparaitre les catégories du mal. Ce n’est pas ce sujet que nous allons traiter mais je voulais décrire ce contraste.
Dans la position de la foi hébraïque, il y a monothéisme radical (nous avons étudié à Hoshanah Raba cette perspective du monothéisme absolu), mais il y a pour notre problème un monisme radical de l’essence profonde du monde : c’est le même Créateur qui a voulu le monde de vérité et qui a fait le monde de la réalité.
Ceci est au-delà des prises de l’analyse intellectuelle : c’est une option de foi.
Cela ne signifie pas que, s’appuyant sur cette option de foi, qui est conaturelle à la sensibilité hébraïque : hors de quoi on ne comprend pas la prophétie hébraïque sans ce point de départ de l’évidence de la manière d’être hébreu. Il est impossible qu’il n’y ait pas unité quelque soit les apparences : qu’il n’y ait pas unité profonde de ces deux polarités de l’être : l’être de vérité et l’être de réalité.
Or, l’être de vérité et l’être de réalité, en vérité et en réalité, n’ont rien à voir l’un avec l’autre.
Nous connaissons l’un par « les yeux de l’esprit » et nous connaissons l’autre par les yeux de chair.
L’exemple que je voulais donner c’est dans les sciences humaines, la mathématique et la physique : avoir découvert que la loi du monde mathématique rend compte de la réalité du monde physique c’est une intuition monothéiste et cela a été le génie de la science moderne à sa racine. Il a fallu des siécles pour que la science occidentale se dégage de cet interdit du dualisme grec qui l’empêchait de penser l’unité profonde qui a permis la science moderne.
Si la loi mathématique ne rend pas compte du fait physique, la science n’est pas possible. Or, la science moderne existe et est efficace puisque la technique le confirme.
Il est évident que la réalité correspond à la loi de vérité. Cette intuition de la philosophie des sciences contemporaines, dans le sens épistémologique, c’est l’intuition de base de la science hébraïque : Celui qui a voulu le monde de vérité c’est Lui qui a fait le monde de la réalité. Il a fallu des siécles pour que cela devienne une évidence familière. On ne soupçonne pas souvent que derrière l’affirmation du monothéisme hébreu, il y a aussi cela.
Ceci pour indiquer que nous trouverons deux verbes radicalement différents dans le Maassé Béréshit : pour dire le fait de faire exister le monde de vérité c’est le verbe de Baro – Vayibra qu’on traduit en français par « créer ». Et d’autre part le fait de faire exister la réalité : c’est le verbe de Vayaass : « il fit ». Le Olam Ha-Briah monde de la création - Le Olam Ha-Assiyah monde de l’action.
Nous avons une difficulté de vocabulaire : En français le terme de « créer » ne désigne pas faire exister le monde de vérité, mais il désigne faire exister le monde de la réalité, la matière. C’est dérivé d’une racine latine qui signifie « rendre réel » res – chose – faire chose. Cela correspond un peu à la notion de Gueshem en hébreu non dans son sens de pluie mais de corps, Gueshem - Gashmi.
En hébreu Baro concerne l’objet de vérité, l’idée, un peu à la limite dans le vocabulaire de l’idée chez Platon.
Lorsque le texte dit Vayibra וַיִּבְרָא c’est dans la perfection absolue du Olam HaMaharshavah.
Lorsqu’il dit Vayaass וַיַּעַשׂ c’est dans le monde de la réalité.
Ce décalage entre la perfection d’un monde qui serait à l’honneur de Dieu et l’imperfection du monde de la réalité de notre représentation, de notre expérience, est connu par le vocabulaire du texte qui nous raconte que c’est un Dieu unique qui a créé et qui a fait.
Voilà l’introduction à ce problème.
Q : Dans le monde de la réalité, moitié-bien, moitié-mal ?
R : Dans le Olam Ha-Assiah (le monde de l’action) qui est le monde le plus inférieur au niveau de la réalité, il y a en réalité plus de mal que de bien. Pour Olam HaYetsirah (le monde de la formation) c’est moitié-moitié. Dans Olam HaBriah (le monde de la création), il y a l’amorce de la racine de ce qui sera en bas le Shoresh du Râ (la racine du mal). Et plus haut, Olam HaAtsilout (le monde de l’émanation) c’est encore plus haut que le bien. En vérité, il y a 4 niveaux de l’être pour le vocabulaire de la Torah, mais je n’ai fait allusion qu’à deux de ces niveaux qui nous sont familiers à cause du dualisme occidental. La pensée hébraïque pense par 4 alors que la pensée occidentale pense par 2.
4 qui sont 5 comme le rappelle la main.
Le nom de ces 4 niveaux qui s’unifie dans un 5ème :
ð Olam HaAtsilout - monde de l’émanation
ð Olam HaBriah - monde de la création
ð Olam HaYetsirah - monde de la formation
ð Olam HaAssiah - monde de l’action
Nous avons dans le 1er chapitre, 2 termes: Baro + Asso (créer et faire)
Dans le 2ème chapitre au verset 7, apparait le terme de Yatsor - Yetsirah (Former, façonner)
Sur la question posée, le Olam HaBriah contient l’annonce de ce qui plus bas sera ce que nous appelons Tov Véra (bien et mal) mais là-haut, la racine de ce mal est complétement bonne.
Une phrase de la Torah shébéalpéh (la tradition orale) : eïn ra yored min hashamayim - aucun mal ne descend du ciel. [Sanhedrin 59b] C’est lorsqu’il arrive en bas et selon la manière dont il est reçu que cela s’inverse en mal. C’est un mystère pour la pensée occidentale. Cela semble même être une pirouette, car en bas le mal est vraiment du mal, et dire que c’est du bien en finalité, que ce soit un bien que ce soit un mal parce que le mal fait ressortir le bien qui consiste à être bien, cela ressemble aux pirouettes d’une théodicée bancale. Quand quelqu’un a mal il a mal. C’est interdit de raisonner et d’agir ainsi devant le mal ou le malheur. On reste à côté de la personne qui souffre et on se tait. C’est la plus grande consolation.
Une histoire du Talmud à propos des souffrances Yissourim. Quand on parle des rabbins du Talmud on parle de géants de la vertu. Alors on ne sait jamais à ce niveau si ce sont des souffrances punitions ou des épreuves d’amour. Que signifie en plus une épreuve d’amour ? Il y a une collision de concepts qui posent problème en soi. En particulier on y raconte l’histoire de Rabbi Yo’hanan, très malade, visité par ses collègues. L’un d’entre eux lui demande : « est-ce que tes souffrances te sont chers ?» (Sous-entendu compte tenu du salaire qui leur est lié). Il répond « lo hem vé lo skharam !» « ni elles ni leur salaires ! ». Il faut s’habituer à ce qu’est la tradition de la sensibilité juive pour le problème des épreuves.
C’est quand c’est en bas que cela devient Râ (mal) mais il ne faut pas esquiver le problème, le Râ c’est vraiment du Râ (mal).
Une de mes maîtres, Jacob Gordin disait: qu’est-ce qu’un athée moderne ? Un athée moderne on ne peut pas dire que c’est quelqu’un qui ne croit pas en Dieu, parce qu’il ne sait pas de quoi il parle ! Un athée moderne c’est quelqu’un qui ne croit pas au mal. Alors il faut se méfier de lui. Il ne croit pas que le mal c’est le mal. Il racontait beaucoup de Midrashim à ce sujet.
J’ai voulu mettre en évidence ces 2 termes de vocabulaire :
Vayibra וַיִּבְרָא: Bara בָּרָא (Il créa) signifie faire exister l’objet de la création au niveau de la vérité. Et l’atteinte de cette vérité est au-delà de la pensée avec image. C’est dire que tant qu’on pense avec des images, on ne pense pas encore d’après la Torah, on imagine. C’est un thème très important : ‘Tu ne te feras pas d’image : cela vaut d’abord pour la pensée. Les images de la pensée c’est limite, et ce sont les images les plus dévastatrices au point de vue de l’idolâtrie.
Midrash inventé:
Lorsque Dieu a créé le 1er homme il lui a dit : « Si tu es sage je te donnerais une image. (L’imago déi des traducteurs). Rendez-vous au Sinaï ! » Au Sinaï, Israël seul est arrivé et Il lui a dit : « tu seras sage et tu n’auras pas d’image ! » L’image dans le pensée c’est l’idole.
Cf. Rashi et les Midrashim qu’il cite sur les 10 commandements : l’idole commence par se faire une image au niveau de la pensée. Or, l’image de la pensée lorsqu’elle devient mythe a une vie propre et certains mythes ont la vie dure…
Ce projet de vérité dont je vous parle, lorsque les Kabalistes parlent de Olam habriah c’est au niveau de la Séfirah Binah dans le vocabulaire de la Qabalah. C’est au-delà de la pensée avec image qui se trouve beaucoup plus bas. A ce niveau, le monde dans sa vérité absolue est appelé Olam HaBa. Donc il existe déjà.
C’est pourquoi la Mishnah de Sanhédrin parle de la part de Olam HaBa qui est réservé à chaque membre d’Israël et aussi aux ‘Hassidei Oumot HaOlam (les Justes- homme de bonne volonté des peuples du monde), chacun ayant sa part : « Kol Israël Yesh Lahem ‘Helek Laolam Haba : tout Israël a une part au monde qui vient.»
Un des commentaires souligne le verbe Yesh qui est au présent : « il y a déjà ». Tout est donné à l’avance, l’essentiel c’est de ne pas le perdre... C’est encore un autre sujet.
L’image qui apparait là c’est que c’est le Olam HaBa (monde de vérité) que Dieu a créé et qu’il a diminué au niveau de Olam HaZeh (monde de la réalité). Il a créé le monde de vérité qu’Il a diminué au niveau de la réalité.
Cela s’est passé entre le 1er et le 2ème verset de notre texte :
Bereshit Bara Elohim et hashamayim veet haarets
Au commencement créa/avait créé Elohim les cieux et la terre.
Au niveau du projet de vérité puisque le verbe employé est Bara.
Vearets hayitah tohou vabohou
Et la terre était devenue chaos.
Haarets (la terre) du 2ème verset : il s’agit ici de la terre de la réalité et non plus Haarets la terre de vérité comme dans le 1er verset !
Le Zohar sur le 1er verset indique: haarets shel maalah (la terre supérieure) - Et sur le 2nd verset : haarets shel maatah (la terre inférieure).
Donc, ce contraste entre vérité et réalité, qui a été le point de départ de l’analyse, est connu du récit d’emblée. Il nous faut donc récupérer cette évidence.
Lorsque nous parlons du monde imputé à Dieu ce n’est pas le monde de la réalité imparfaite quoique c’est le même sans être cependant le même. Tout cela est enfermé dans une des dimensions de signification du mot Bereshit : Au commencement Dieu créa…
Il y a une suite à ce commencement, ce que c’est devenu dans la suite du commencement c’est ce que nous avons-là : et la terre était devenu chaos...
Ce contraste entre le monde de vérité et le monde de réalité nous est rendu par cette expression de Tohou VaBouhou תֹהוּ וָבֹהוּ que l’on traduit par chaos : par rapport au monde de la vérité, le monde de la réalité c’est un chaos !
Il faut alors se demander qu’elle est la finalité de tout cela ? C’est la vraie question, le vrai problème.
Si on devait, nous, juger le monde tel qu’il est on ne pourrait pas dire « c’est bon ! ». A la rigueur on pourrait dire c’est bon et c’est mauvais, mais on sait qu’il y a plus de Râ que de Tov en bas !
Midrash :
Quand Dieu a vu la série des générations de l’homme, Il a vu qu’il aurait plus de Reshayim (méchants, impies) que de Tsadikim (justes).
Quand il a vu l’homme dans la vérité, c’était très bon. Quand Il l’a vu dans la réalité Il a constaté plus de Reshayim que de Tsadikim. Il a donc pris les Tsadikim (les justes) et les a planté dans toutes les générations du monde. C’est pourquoi il y en a si peu par génération. Cela se rattache à l’enseignement des Guilgoulim : ce sont les mêmes Tsadikim à travers toutes les générations, au niveau de l’envergure de chaque génération.
Quelques Tsadikim dans la réalité et beaucoup de Reshayim dans la réalité. Il y a le problème de la finalité des Reshayim. A quoi servent–ils ? Ils servent forcément à quelque chose puisque c’est Dieu qui les a fait (je n’ai pas dit « créé » mais « fait » = Vayaass). Donc ils servent aussi à quelque chose. Le Rav Ashlag a un enseignement très important à ce sujet : A quoi servent les Reshayim ?
Le Rav Tsvi Yehoudah avait l’habitude de citer une Mishnah des Pirqey Avot à propos de Aaron - Aharon HaKohen : il est connu comme étant l’homme de paix par excellence. La fonction du Kohen (le prêtre) est de faire la paix entre les hommes. La Mishnah interprêtée par le Rav Ts.Y. Kouk nous enseigne que la fonction du Kohen c’est de faire faire la paix entre les Reshayim et les Tsadikim, alors qu’on s’est trop habitué au fait que le Kohen est celui qui sépare entre les Tsadikim et les Reshayim. (Il y a un mouvement politique qui s’appelle RaTs – Otiot – initiales - Reshayim-Tsadikim)
La Mishnah dit d’Aharon: « Il aime la paix et poursuit la paix » Peut-être là un lien avec notre sujet : il aime la paix (au niveau de la vérité) et il poursuit la paix (au niveau de la réalité). Se borner à aimer la paix comme slogan c’est une chose mais la rechercher vraiment c’en est une autre.
« Il aime les créatures et les rapproche de la Torah ». Le Rav Kook enseignait le Pshat (sens simple) même du texte : s’il aime les créatures qu’il doit rapprocher de la Torah, cela signifie qu’il aime les créatures qui sont loins de la Torah, puisqu’il doit les rapprocher...
Au niveau du Olam HaAtsilout (monde de l’émanation) c’est les Maalah Mitov encore plus haut que bon - Tov.
Et Olam HaBriah c’est notre texte, Tov, Tov meod
Yetisrah : c’est le monde ‘Hatsi Tov-‘Hatsi Râ.
Assiah: Roubo râ ve méaliouto tov: une majorité de mal, une minorité de bien.
Q : Quid du verset : « Il crée le mal » ?
R : Hou Boré Râ au chapitre 41 verset 17 ou 7
Cela veut dire qu’à la racine ce Râ au niveau de Briah n’est pas Râ.
C’est l’enseignement du Rav Ashlag évoqué prédédemment : à la racine ce que nous appelons le mal en bas n’est pas mal mais ne l’est qu’en bas et c’est même une des conditions de l’existence.
On avait posé la question de la finalité des Reshayaim.
J’ouvre une parenthèse sur ce que le Rav Ashlag enseigne sur ce sujet : en se basant sur des versets précis du livre de Bereshit donnés à propos du déluge : lorsque le jugement qui abouti au déluge par disqualification des 10 premières générations de l’histoire de l’humanité dit que l’homme n’est que Râ : Bereshit 6:5 :
וְכָל-יֵצֶר מַחְשְׁבֹת לִבּוֹ, רַק רַע כָּל-הַיּוֹם
« Car le yetser (penchant) du coeur de l’homme n’est que Râ mauvais depuis son enfance».
Le Talmud enseigne : l’homme a d’abord un Yetser Hara (appétit de jouissance de vie - penchant au mal) et ce n’est qu’à la Bar-Mitsvah (13 ans) que le Yetser HaTov (penchant au bien) intervient. Jusque-là il n’y a que le Yetser HaRa et c’est un thème d’étude important pour la pédagogie de l’éducation des enfants jusqu’à la Bar Mitsvah. La Bar Mitsvah c’est le jour de la puberté : le jour où l’enfant est capable à son tour de donner la vie. C’est là qu’il devient majeur et responsable du point de vue de ses actes.
Recevoir la vie, c’est le Yetser HaRa.
Donner la vie, c’est le Yetser HaTov.
Par conséquent, il faut arriver par conséquent à penser ces catégories en les dégageant du pathos à un niveau où la finalité du Yetser HaRa peut-être comprise comme bonne.
Je reprends les catégories fondamentales : Recevoir l’être c’est la racine du mal, donner l’être c’est la racine du bien.
Or, si je ne suis pas doué d’une tendance à recevoir l’être je ne peux plus exister. Si je ne suis pas attaché en bas par le Yetser hara qui me pousse à recevoir l’être, je remonte tout de suite. La Neshamah (l’âme divine) est attachée en bas par le corps sinon elle n’est pas chez elle en bas et elle ne demande qu’à remonter. C’est très dangeureux de laisser la Neshamah rêver à là-haut : si le Yestser Hara (penchant au mal) du corps n’est pas suffisament lesté pour faire descendre la mongolfière de la Neshamah.
La Neshamah d’un Tsadik (l’âme divine du juste) désire remonter, elle est mal en bas. Il faut qu’elle soit attachée en bas pour la finalité de son existence terrestre par le Yetser Hara qui est appétit de jouissance de vie.
Cela veut dire que la tendance à recevoir l’être est la condition sine qua non de notre existence. C’est lorsqu’on fait servir cette tendance à recevoir l’être à ce qu’on appelle en français l’égoïsme que cela devient le mal. Alors que l’altruisme, le donner, c’est cela le bien.
Le Rav Ashlag explique que nous sommes apparemment donné à un problème impossible à résoudre : recevoir et donner sont deux tendances contradictoires que nous devons satisfaire toutes deux pour pouvoir exister. Si je ne me satisfais pas de la tendance à recevoir je m’évanouis, je n’existe plus. A la limite il s’agit des tendances égoïstes. Mais si je ne satisfais pas ma tendance à donner, le bien, l’altruisme, je suis malheureux d’être. C’est ce que les philosophes, Jean Vahl nomme cela « le malheur de la conscience ». La conscience qui se connait malheureuse car elle reconnait que ce qui la fait exister c’est le mal : la jouissance.
Le Rav Ashlag par son génie de simplicité, établit qu’il y a 4 dispositions de ces 2 Yetsarim (ces 2 penchants):
- recevoir pour recevoir et c’est cela le mal,
- donner pour donner c’est le bien illusoire,
- donner pour recevoir,
- recevoir pour donner.
Donner pour donner : c’est le bien illusoire. Celui dont c’est le slogan, l’art pour l’art, l’acte gratuit et désintéressé, fait semblant de ne rien recevoir jamais et c’est le commencement de la folie d’orgueil. En général, ces idéalistes cachent le fait qu’ils reçoivent. Ce sont les fondateurs de religions où le fondateur est pris pour Dieu. Les théologiens de ces religions sont gênés par le fait que le fondateur ait eu une mére... Alors il a eu une mère. Mais en tout cas il n’aura pas de fils... Ce genre de mythe trés ancien et nous sommes « anti ce mythe ». La notion d’engendrement est signe d’impureté absolue dans une telle théologie. Dans le judaïsme le Mashia’h sort de l’enfantement réel. Cf. l’histoire de Ruth, mais aussi avant l’histoire de Ruth, celel des filles de Loth, ensuite Judah et Tamar et Ruth et Boz. C’est lorsque les engendrements s’affinent pour devenir parfaits que le roi David peut naître. Dans le judaïsme le Mashia’h sort de l’enfantement réel. Dans une telle théologie du donner pour donner on ne reçoit pas, donc on ne donne pas.
C’est la 2ème position et il faut passer par là avant d’arriver à la 3ème ou 4ème.
La 1ère position la plus inférieure, c’est recevoir pour recevoir on fait l’apprentissage des kelei kabalah, les véhicules de réception : c’est-à-dire avoir envie d’avoir envie. C’est l’âge de l’enfance où il faut apprendre à l’enfant à recevoir les vases de réception de ce qu’il recevra. Durant toute la vie, on ne reçoit jamais plus que le contenu des contenants qu’on a préparé jusqu’à la BarMitsvah. Il faut par conséquent bien élever les enfants pour leur apprendre à avoir envie, parce qu’après ils n’auront que cela comme envie. Ni plus, ni moins. Si on a fermé les vases de réception, ils passeront toute leur vie à tenter de les ouvrir et ils n’y parviendront pas.
Et les psychologues coûtent chers...
C’est là le Yetser Hara jusqu’à la Bar Mitsvah. A l’âge de la Bar Mitsvah, l’être se prépare à donner. Le Yetser Tov entre dans la Nefesh (l’âme vitale ou animale). Il apparait à l’âge de la BarMitsvah.
Il y a là une période de la pré-adoslescence, de la crise mystique, que tous les jeunes gens connaissent : du donner pour donner. C’est une crise dangeureuse par laquelle il faut passer, mais il faut en sortir. Si on n’en sort pas on bascule dans l’illusion de l’idôle chrétienne par exemple.
Cet idéalisme est typique. C’est l’âge du romantisme en littérature, il faut y passer mais il ne faut pas y rester il faut en sortir.
Il y a alors deux apprentissages : au 1er stade on apprend à recevoir. C’est à cela que servent les Reshayim les méchants : ils nous apprennent comment on reçoit. Mais il ne faut pas s’arrêter-là.
Au 2nd stade on apprend à donner : c’est ce à quoi servent les idéalistes : ils nous apprennent à donner, mais il ne faut pas s’arrêter là.
Alors on monte encore dans les 2 niveaux supérieurs, il y a un premier stade où lorsqu’on est sorti de ces 2 apprentissages on sait déjà qu’il faut les deux, mais on n’est pas encore très habile pour savoir dans quel ordre. C’est alors le stade de la religion naturelle : on donne en vue de recevoir.
La formule des latins était « do ut des » - « je donne afin que tu me donnes ». Par exemple : Je donne ma vertu pour que tu me donnes un fauteuil au paradis. C’est le niveau de la religion naturelle.Il y a quand même une gêne à ce niveau-là, c’est ce qu’on appelle la vertu lo lishmah non authentique, mais elle est très précieuse.
Finalement, on arrive au stade de la maturité qui s’appelle ‘Hokhmah en hébreu (la sagesse), c’est recevoir en vue de donner. Le point de chute, ce n’est pas recevoir mais c’est donner. On a satisfait le Créateur en tant que Créateur de la réalité : on reçoit. Et on a satisfait le Créateur en tant que Créateur de la vérité : on donne. Mais dans cet ordre-là. Recevoir en vue de donner. Recevoir le plus possible en vue de donner le plus possible.
En général, on trouve une accusation contre le judaïsme qui est accusé de matérialisme. Parce que ce sont les juifs inversés : ceux qui donnent beaucoup en vue de recevoir beaucoup. Cela concerne la 3ème catégorie. On oublie que c’est en vue de donner.
La consigne que donne évidemment le Rav Ashlag c’est de recevoir le plus possible en vue de donner le plus possible. A ce niveau-là on atteint le bonheur de la conscience parce que les 2 tendances (Yetser Harâ et Yetser haTov) sont satisfaites.
Et c’est le Sod (le secret) de ce que dit Rashi sur le Qriat Shéma (profession de foi juive) de servir Dieu avec ses deux penchants : « de tout ton coeur - Bekhol levavekha » = Lévav écrit ici avec deux lettres Beith : le coeur avec les deux ventricules celui qui reçoit et celui qui donne : Rashi explique « Bekhol levavekha bishnei yestsarekha : de tout ton (tes deux) cœur(s) avec tes deux tendances» servir Dieu avec ses deux penchants, tes deux tendances. Il y a là une étude très importante et très difficile. Cela veut dire : avec la tendance au bien et avec la tendance au mal. Cela rejoint l’analyse du Rav Ashlag.
Sur ce Rashi, quelques phrases :
Habituellement, on pense que là où c’est facile, c’est de servir Dieu avec la tendance au bien. Et là où c’est difficile c’est de servir Dieu avec la tendance au mal, et que par conséquent, le ’Hidoush (l’idée original) du Midrash cité par Rashi serait de servir Dieu avec la tendance au mal. Comment ? Les psychologues appellent cela « la sublimation des passions ».
.../...
C’est l’égalité d’humeur qui est le véritable bonheur du sage.
C’est au niveau de la ‘Hokhmah, la sérénité de la sagesse, lorque l’ordre est recevoir et donc on est Eved haboré - serviteur du créateur et en vue de donner, on est latet nahat roua’h layotser.
Ce sont les deux termes du Shoulkhan Aroukh (code de la loi juive): quand on se réveille le matin il faut se préparer à être serviteur du Créateur, c’est-à-dire recevoir. Mais toute la journée il faut mériter ce qu’on a reçu en le donnant. Cela se dit latet nahat roua’h layotser.
Cela veut dire que la racine du Yetser Hara est un bien suprême.
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