Pessah la Hagada, l'être père et l'être fils (1987)
Mea Maron - Commentaire de la Hagadah du Rav Harlap
http://www.toumanitou.org/toumanitou/la_sonotheque/fetes_et_calendrier/pessah_la_hagada_l_etre_pere_et_l_etre_fils/cours_1
Face A
J’ai choisi comme sujet d’étude sur la Hagada les passages où la Hagadah formule le dialogue entre les pères et les fils. Ce sont les passages des 4 enfants que vous connaissez. Et nous allons d’abord en introduction découvrir le sujet lui-même, ensuite nous aurons une première lecture habituelle classique de la catégorisation des 4 enfants, c’est-à-dire des 4 manières pour l’enfant le soir de Pessa’h de poser la question à ses parents pour comprendre ce qu’il y a de différent dans le destin des familles d’Israël : Mah Nishtana ? Qu’y a-t’il de différent ?
Et cela est bien sûr focalisé sur l’événement de commémoration de la sortie d’Egypte, puisque cet événement de la sortie d’Egypte est le principe fondateur de l’histoire d’Israël. S’il y a donc une spécificité, s’il y a une différence, suivant le sens de «Mah Nishtana ? », dans l’histoire et l’identité d’Israël, cela s’enracine bien évidemment dans l’événement commémoré le soir de Pessa’h, c’est-à-dire l’événement fondateur de l’histoire d’Israël en tant que peuple : la sortie d’Egypte.
Et j’ai choisi pour l’étude proprement dite le commentaire de ces passage de la Hagadah par le rav Harlap (Rav Yaakov Mosheh Harlap) Talmid ’Haver du Rav A.I. Kook, qui a formulé cela de façon suffisamanent claire, et nous aurons là une deuxième catégorisation des 4 enfants.
Le sujet est ce dialogue entre les pères et les fils à propos de Pessa’h et l’objectif met en évidence ce qu’il y a de spécifique, de différent, dans l’identité d’Israël et dans son histoire.
Je me baserais dans cette introduction sur une remarque du Rav Harlap qui se relie à la Haftara que l’on lit le Shabat HaGadol. Le Shabat qui précède Pessa’h est nommé Shabat HaGadol car il se réfère à un événement important 4 jours avant Pessa’h : la préparation du sacrifice de Pessa’h (4 jours avant Pessa’h) aux vues et aux sus des Egyptiens. Et cet évènement est considéré dans la tradition comme un événement miraculeux que je voudrais vous expliquer brièvement :
Dans la sensibilité religieuse dans cette civilisation égyptienne, on adorait les forces divines représentées sous des formes animales. C’est à comprendre à un niveau plus profond au-delà de l’apparente idolâtrie primitive. Ils reconnaissaient dans les morphologies animales ce que qu’elles représentaient comme modèle de destin pour la vie humaine. Ces religions de l’antiquité reconnaissaient comme divinités ce qu’on pourrait appeler en langage moderne « les forces de la nature », mais à un niveau beaucoup plus profond que simpement ce que nous connaissons dans la mentalité scientifique contemporaine, les lois qui régissent les phenomènes, les lois de la nture. Ils avaient une sorte de diagnostic des forces cosmiques qui étaient en travail dans les phenomènes naturels eux-mêmes et qu’ils considéraient comme étant le dévoilement de la divinité. Cela a été une sensibilité religieuse qui a été très riche, c’est une culture païenne extrëmement riche à laquelle les modernes sont peu sensibles, incapables de diagnostiquer ce que pouvaient être la ferveur religieuse de ces paganismes de l’antiquité. Et cela a été effectivement une richesse culturelle considérable, mais dans une atmosphère de fatalisme. On considérait que la vie humaine était soumise à des lois du destin de la même manière que les objets inertes sont soumis aux lois impersonnelles et déterminées que nous appellons « lois de la nature ». Ceci devrait être considérablement nuancé, mais enfin le terme qu’emploie les historiens des religions pour désigner ce type de sensibilité religieuse que nous appelons païenne ou idolâtre est nommée l’astro-biologie.
C’est le terme consacré pour dire que les astres ont une influence sur l’histoire des êtres vivants, y compris l’homme. C’est cette sensibilité religieuse par rapport à laquelle Israël, lors de la sortie d’Egypte, va décrocher. Avec la révélation de la Torah se révélera un moment considérable de mutation dans la sensibilité religieuse de l’humanité : Ce n’est plus le destin qui est considéré comme étant la divinité mais c’est la Providence - une Volonté libre et qui juge la destinée de hommes d’après la loi morale. Il y a là une mutation radicale dans la sensibilité religieuse à ce moment-là. Elle n’est pas encore achevée si l’on considère l’histoire de l’humanité comme en cours d’évolution pour arriver à réussir cette mutation qui a commencé à la sortie d’Egypte. Elle a bien entendu été préparée par l’identité des Patriarches. Et nous suivons en filigrane ce qui se passe pour Israël en tant que peuple, en tant que société, à la sortie d’Egypte, mais nous le lisons déjà en filigrane dans l’expérience individuelle qui a été celle des Patriarches, Abraham, Isaac et Jacob. Et c’est le peuple de leur descendance qui va être le sujet principal de cette révolution religieuse considérable à l’échelle de l’humanité toute entière.
A la sortie d’Egypte, on sort et se déconnecte de l’influence astro-biologique, pour se retrouver comme sujet libre devant une Providence dont l’essentiel de la révélation de divinité est la loi morale.
Voici donc que la sensibilité religieuse des Égyptiens s’était habituée à considérer comme sacrées les formes de la vie, telles que représentées dans les espèces animales. Et c’est pourquoi les divinités reconnues par la conscience religieuse de cette civilisation étaient représentées sous des formes animales.
Or, voici que précisèment, Israël reçoit comme Mitsvah, comme commandement préparatoire à la sortie d’Egypte, le fait d’avoir à se préparer à sacrifier ce qui était considéré comme la divinité par les Égyptiens.
Il y a avait donc là un élément de provocation à cette sensibilité égyptienne dans cette préparation qu’il faut mettre en évidence : il y a eu un courage considérable de la part de ce peuple encore soumis à l’esclavage qui aux vues et aux sus de leurs maîtres, les Égyptiens, prépare l’agneau du sacrifice de Pessa’h, l’agneau du sacrifice pascal. Lorsque les Égyptiens leur demandaient ce qu’ils allaient faire ces animaux, ils répondaient : « dans 4 jours nous allons sacrifier ce qui est considéré par vous comme divin ! »
C’était le 10 du mois de Nissan, cette année là c’était un Shabat. C’est pourquoi le Shabat qui précéde Pessa’h, lorsque la convergence du calendrier fait que lorsque le Shabat Hagadol tombe à nouveau un 10 Nissan, il y a une plus grande convergence. Certaines communautés ne retiennent que cette date pour le Shabat Hagadol dans toute sa plénitude liturgique. Mais dans la majorité des communautés il est cependant fêté même en dehors du 10 Nissan comme Shabat Hagadol.
Il y a eu donc un grand miracle qui s’est produit : Les Égyptiens ont été attérés et pris de panique par ce courage des Hébreux, peuple esclave, et n’ont rien fait pour venger leur sensibilité religieuse ce jour-là. Il ne se passe rien du côté des Egyptiens et la sortie d’Egypte s’est déroulée 4 jours après dans les circonstances que vous savez.
Je ne sais pas si les générations contemporaines seraient capables du même courage de défi ?
Il y a dans la sensibilité juive contemporaine une espèce de vulnérabilité au « quand dira-t’on » des Goyim. Alors qu’à l’époque il n’y a eu aucune réticence. Pas sûr qu’aujourd’hui, dans le même contexte, on puisse trouver le même courage, la même attitude... on est plutôt attentif à l’ONU...etc.
La Haftarah lue lors du Shabat Hagadol est une Haftarah qui prévoit le jour de la fin des temps, de l’ultime délivrance de tous les exils, et donc avec soujacente l’idée de commencement des temps messianiques. Il est prévu dans ce texte que en ce temps-là, Eliyahou le prophète se révélera avec pour fonction la réconciliation entre les pères et les fils.
Le Rav Harlap établit un parallèle entre cette notion de base de la Haftarah de Shabat Hagadol – le lien entre les pères et les fils - et d’autre part ce moment essentiel de la liturgie de la Hagadah où va s’établir ce dialogue entre les pères et les fils concernant la question de l’enfant découvrant le caractère singulier de sa propre destinée.
Analyse du Rav Tsvi Yéhoudah Kook.
Avant de pénétrer dans l’analyse, je cite un des enseignements du Rav Tsvi Y. Kook mon maitre z’al. Parmi ces 4 enfants, un des 4 enfants est considéré comme Rashâ que l’on traduira une fois par le terme de méchant si vous voulez, c’est le révolté. Alors que les autres dans leur interrogation et dans leur interpellation à la génération précédente ont une attitude positive et leur question implique qu’ils attendent une réponse et qu’ils sont prêt à s’y relier positivement. La Rashâ est dans l’attitude de l’interpellation de révolte. Le Rav Kook mettait ceci en évidence: La Torah a prévu que l’enfant doive interroger. Il ne faut pas s’étonner si la génération qui n’a pas eu l’expérience des événements dont il est parlé doive normalement se demander : « Que se passe-t’il ? »
Et c’est même un devoir que la Torah prescrit pour le père d’avoir à répondre.
Au niveau de la pédagogie, très souvent la génération des pères a tendance à considérer comme négative et insolente et indécente cette attitude : comment se fait-il que l’enfant de la famille mette en question l’identité de la famille ? On perçoit cela comme l’attitude du Rashâ, du révolté, alors que le Rav et le verset l’indique nous montre que la Torah l’a prévu et que cela est normal et positif.
Le Rav nous montre que la Torah a prévu et que cela est normal. Cela est perçu comme l’attitude du Rashâ mais la torah a prévu que cela est normal. Si une de ces 4 attitudes des enfants, celle du Rashâ dans l’attitude de révolte devient négative c’est qu’il s’est passé quelque chose entre les parents et les enfants qui a conduit à cette attitude de révolte et qu’il faut élucider à priori.
Le Rav Kook analysait ainsi:
A l’âge de l’adolescence se produit une sorte de pudeur qui rend le dialogue entre les parents et les enfants très difficile. On n’ose pas parler de l’essentiel. Les conversations familiales entre parents et enfants de l’âge de l’adolescence sont dans une sorte de tabou et semble contourner l’essentiel de cet enfant dont la conscience est en train de s’éveiller à une destinée historique particulière. Et l’on ne peut pas nier que l’histoire juive de la dispersion a condamné les enfants juifs à savoir qu’ils étaient différents des autres. Et même maintenant que nous avons retrouvé une histoire nationale avec la nation d’Israël on ne peut pas nier que cela a changé de niveau avec la formule habituelle que vous connaissez : « Israël juif des nations », nous vivons à l’échelle nationale, ce que les Juifs ont vécu au niveau individuel dans l’exil des nations : l’humanité toute entiére d’un côté et nous de l’autre côté. C’est juste un changement de niveau.
L’enfant finalement a un jour le courage de demander « que dois-je faire dans la vie ? » je le formule exactement comme je l’ai entendu du Rav Kouk. Et le père se trompe de réponse : Il lui répond : « Toi, tu sera avocat, médecin, ingénieur... » Or, ce n’est pas ce que l’enfant a demandé !
J’espère avoir mis en évidence cette espéce de pudeur très délicate de l’adolescente, un tabou qui empêche de parler de l’essentiel. Comme s’il était indécent de parler dans le foyer familial du vrai problème : « Que sommes nous, nous les hommes et parmi les hommes que sommes-nous, nous les juifs ? Dites-nous vous les adultes à nous les enfants, expliquez-nous ! » Il y a une pudeur qui paralyse cela, un tabou.
Et finalement lorsque l’enfant a enfin le courage de dire et de demander de quoi il s’agit « Mah zot ?», il s’entend répondre dans une stratégie socio-économique du père soucieux d’assurer la promotion sociale de ses enfants, il n’entend pas la vraie question et donne une réponse qui finalement mène l’enfant à révolte. Le Rashâ est l’enfant qui n’a pas obtenu de réponse à sa question et se bloque dans l’attitude de révolte.
***
La phénoménologie de cette question qui reste mystérieuse chez les commentateurs :
Dans quelle famille juive y-a-t’il 4 sorte d’enfants ausi différents ?
Un Hakham-sage, Un Tam-simple, un Rashâ-revolté et celui qui ne sait même pas qu’un question se pose et qu’il y a à la poser, qui ne sait même pas interroger.
Avant d’entrer plus avant dans l’analyse je citerais un enseignement provenant de la Kabalah, surtout véhiculé par l’enseignement de la ‘Hassidout, et qui nous apprend qu’il s’agit de la famille d’Abraham.
Dans la famille d’Abraham on trouve 4 personnages principaux en relation au problème de la révélation de la Torah :
1- Le ‘Hakham est Yitshaq. Sa question : que faut-il faire ? Il a ce présentiment que quelque chose a réussi dans l’histoire de la destinée mais que faut-il faire ? Remarquez immédiatement qu’il ne se pose pas une question au niveau du pourquoi, il ne pose pas de question métaphysique. Il se pose des questions au niveau du comment. Il a admis par postulat qu’il y a une signification à tout cela. Et même si on ne la connait pas, on va se mettre à l’abri du comportement qui a pour objet de faire réussir cette signification entrevue, présentie. La question métaphysique est, en dernière analyse, la question plus importante mais elle sera laissée de côté jusqu’au dernier moment où l’on pourra s’y mesurer. En attendant, il faut réussir ce qu’il y a à faire. Et par conséquent, la question du ‘Hakham c’est « Qui y-a-t’il à faire ? » C’est Isaac, et lorsque on analyse le profil d’identité d’Isaac dans la famille des Patriarches on sait qu’il est l’homme prêt à faire ce qu’il faut pour réussir même si c’est le sacrifice ultime. S’il y a une Aqédah, Yitshaq va jusqu’au sacrifice suprême : « S’il faut être le korban Pessa’h, je suis prêt ! » Comment faut-il réussir ce qu’il y a à réussir.
Exemple :
En ce qui concerne les Mitsvoth de l’ordre de la cacheroute, très souvent on se demande ce que cela signifie ? Pourquoi tout cela, quel est le sens de tout cela ? M’est arrivé l’image suivante : Imaginons un homme qui n’accepterait de manger que lorsqu’il saurait comment le tube digestif fonctionne ! Il mourrait de faim avant d’avoir commencer. Il faut donc se mettre à l’abri de l’acte pour arriver au niveau de cette question. De même pour le corps tout entier. Pour savoir comment il fonctionne et ce que cela signifie il faut avoir la science totale de l’univers pour pouvoir accepter de manger... Mais il faut d’abord manger ! C’est la même chose au niveau de la cacheroute.
2- Le Rashâ c’est un des deux fils d’Isaac, c’est Esaü. Lorsqu’on étudie le profil et la destinée du personnage d’Esaü on s’aperçoit qu’en tant que 1er né dans l’ordre naturel, il aurait été destiné à être le Kohen le prêtre dans sa propre famille, mais il ne veut pas de cet Avodah de ce service. Il méprise ce qu’on appelle en français le droit d’aînesse disant dans une philosophie pessimiste (la vie s’arrête avec la mort) 25.32 :
וַיֹּאמֶר עֵשָׂו, הִנֵּה אָנֹכִי הוֹלֵךְ לָמוּת; וְלָמָּה-זֶּה לִי, בְּכֹרָה
« Et dit Esaü : Voici que je vais à la mort, à quoi me servirait l’aînesse… »
C’est très proche de l’attitude de l’enfant Rashâ : « Mah avodah hazot lakhem - Quel est ce service pour vous faites pour vous ? » Je n’en veux pas… Il se met en dehors.
3- Le Tam c’est bien évidemment le terme qui définit Yaaqov :
25.27 : וְיַעֲקֹב אִישׁ תָּם, יֹשֵׁב אֹהָלִים
VeYaaqov ish tam yoshev ohalim..
4- Le sheino yode'a lishol - שאינו יודע לשאול Celui qui ne pose pas de question : c’est Ishmaël.
On a remarqué que dans tous les personnages de la Torah, et e particulier de la famille d’Abraham, un seul qui ne parle jamais, c’est Ishmaël. Il y a une correspondance avec ce que nous vivons dans nos temps contemporains dans nos démêlés avec Ishmaël qui ne veut pas nous parler. Il ne veut pas nous parler, il n’accepte qu’au sein d’une conférence internationale. Il y a une dimension universelle de ce problème avec ce silence d’Ishmaël. Tous les personnages bibliques parlent. Même le serpent. Mais Ishmaël ne parle pas, en tout cas ne veut pas nous parler.
Ce qu’il faut mettre en évidence : La Torah a prévu à l’avance qu’il est normal que l’enfant interroge. Elle nous a déjà donné une catégorisation des types d’enfants et des types de questions. Le verset que je voudrais vous lire à ce sujet :
Bo 13 :14
וְהָיָה כִּי-יִשְׁאָלְךָ בִנְךָ, מָחָר--לֵאמֹר מַה-זֹּאת: וְאָמַרְתָּ אֵלָיו--בְּחֹזֶק יָד הוֹצִיאָנוּ יְהוָה מִמִּצְרַיִם, מִבֵּית עֲבָדִים
Vehayah ki-yish'alkha vinkha ma’har lemor mah-zot
ve'amarta elav be’hozek yad hotsi'anou Adonay miMitsrayim mibeyt avadim.
Et il arrivera lorsque ton fils t’interrogera demain en disant que se passe t-il, de quoi s’agit-il ? alors tu lui répondras : c’est avec une main forte que Dieu nous a fait sortir de la maison d’esclave...
Tout commence dans cet événement commémoré le soir du Séder et qui est l’événement de la sortie d’Egypte. On voit dans ce verset que la Torah a prévu que cela a été normal. Cela nous est aussi indiqué par un des derniers verset de la Haftarah lue au Shabat HaGadol qui est très caractéristique et qui donne la réponse à notre question.
Haftarah Shabat Hagadol : Malakhi 3:4-24
Verset 3:22 – 3:24
זִכְרוּ, תּוֹרַת מֹשֶׁה עַבְדִּי, אֲשֶׁר צִוִּיתִי אוֹתוֹ בְחֹרֵב עַל-כָּל-יִשְׂרָאֵל, חֻקִּים וּמִשְׁפָּטִים
22 :Zikhrou torat Moshe avdi asher tsiviti oto ve’Horev al-kol-Yisra'el ’Houkim oumishpatim.
22 : « Souvenez vous de la Torah de Mosheh Mon serviteur que Je lui ai ordonné à ‘Horev pour tout Israël avec Mes statuts et Mishpatim.
הִנֵּה אָנֹכִי שֹׁלֵחַ לָכֶם, אֵת אֵלִיָּה הַנָּבִיא--לִפְנֵי, בּוֹא יוֹם יְהוָה, הַגָּדוֹל, וְהַנּוֹרָא
23 :Hineh anokhi sholea’h lakhem et Eliyah hanavi lifney bo yom Adonay hagadol vehanora.
23 : Voici que Je vous envoie Eli le prophète avant que n’advienne le jour de Hashem grand et redoutable. (le jour de la fin des temps)
וְהֵשִׁיב לֵב-אָבוֹת עַל-בָּנִים, וְלֵב בָּנִים עַל-אֲבוֹתָם--פֶּן-אָבוֹא, וְהִכֵּיתִי אֶת-הָאָרֶץ חֵרֶם
24:Veheshiv lev-avot al-banim velev banim al-avotam pen-avo vehikeyti et-ha'arets ’herem.
24 : et il raménera le coeur des pères sur leurs enfants et le coeur des enfants sur leurs pères, de peur que Je ne vienne et frappe la terre d’interdit (‘Herem.)
Pour éviter que l’histoire par manque de mérite aboutisse à une catastrophe comme par analogie avec la 1ère tentative humaine qui aboutit au déluge parce qu’elle n’a pas réussi, une dernière chance sera donnée : un prophète viendra pour réconcilier les pères et les fils.
On voit donc ainsi l’importance qui est donnée par la bible à ce problème intergénérationnel, entre la génération des pères et la génération des fils, comme étant le foyer même de la signification de l’histoire. Pour que l’histoire réussise, il y a une première condition fondamentale: il faut qu’il y ait un shilouf dorot, un lien entre les générations des pères et des fils. Si le lien est coupé alors la signification de cette histoire s’évanouit et elle perd toute chance de réussir.
Pourquoi ?
Parce que les événements qui donnent un sens à l’histoire humaine sont par définition des événements historiques. Et si la mémoire de ces événements historiques ne passe pas (pour qu’elle passe il faut shilouv hadorot, ce lien) alors tout est coupé et il faut recommencer tout à chaque génération et repartir à l’origine et l’histoire humaine fait un surplace absolu du point de vue de sa signification spirituelle et morale et nous voyons bien que c’est le danger de la civilisation moderne au niveau de l’amélioration morale. Il y a un un développement des techniques et un surplace au niveau moral. Malgré les sciences et les techniques, nous sommes au même niveau du problème moral non résolu que celui du niveau des premières générations de l’histoire humaine. Les tensions entre le bien et le mal restent de même nature, alors que l’évolution intellectuelle scientifique et technique de l’humanité est considérable. Nous avons un coeur moral primitif avec une civilisation sur-évoluée. C’est un des plus grand danger, la plus grave des impasses du monde actuel contemporain. Il semble bien que le coeur de l’homme du point de vue du problème moral – le choix entre le bien et le mal - n’ait en rien évolué depuis le début de l’humanité.
C’est toujours la problématique de Qaïn tuant Hével : la sempiternelle histoire de Qaïn tuant Hével.
Il semble bien que le coeur de l’homme n’a en rien évolué. Apparememnt il n’y pas de progrès moral à l’échelle collective de l’histoire de l’humanité. Au niveau individuel, il y a des réussites de performance d’évolution morale, il y a à chaque générations des saints ou des « héros » chez les Goyim, que nous nous appellons les justes.
[Et d’ailleurs il y a 3 sensibilités différentes derrières ces trois termes en français:
Considérer que l’homme réussi est un « juste » comporte une connotation morale.
Considérer que l’homme réussi est un « saint » comporte une connotation religieuse.
Considérer que l’homme réussi est un « héros » comporte une connotation grecque ou latine, de force... La vertu chez les Juifs sont morales, mais étymologiquement le « vir » c’est le guerrier...]
Pour revenir à notre sujet. C’est ce verset qui nous donne la réponse.
Malakhi 3 :22 :
זִכְרוּ, תּוֹרַת מֹשֶׁה עַבְדִּי
Zikhrou torat Moshe avdi…
Souvenez-vous de la Torah de Moïse mon serviteur…
Si on ne s’en rappelle pas on l’oubliera !
Etant donné qu’il y a un dévoilement de la signification de la destinée humaine à travers l’histoire, c’est à travers la mémoire d’abord que doit passer une tradition. Et donc le véhicule de la tradition ce n’est pas l’intelligence, ni la raison. On ne peut pas reconstituer par l’intelligence un événement qui aurait été oublié. La perception du sens de l’histoire d’après la tradition juive est dabord par la mémoire historique. En 2nd lieu seulement, il y a un système intellectuel qui va formuler en croyances, en dogmes, en connaissances, l’objet de la foi. Mais la foi elle-même est d’abord de l’ordre d’une mémoire historique. Et si la Hagadah, le récit explicatif de l’événement, ne passe pas d’une génération à l’autre, alors cette hérédité traditionnelle est coupée.
Par comparaison schématique : De la même manière si l’hérédité biologique est coupée elle ne peut pas se reconstituer, de la même manière l’hérédité spirituelle si elle est coupée ne peut pas se reconstituer. Il s’agit de la mémoire. Le terme employé ici par le verset est important Zikhrou mémoriser. Si on ne se souvient pas de ce qui s’est passé, et bien on l’oubliera. Les mots ayant leur sens simple. Aucun prodige intellectuel ne nous permettra de reconstituer l’événement dont il s’agissait sinon par hasard dans l’aléatoire total.
Je croirs que les événements contemporains nous montrent bien qu’il en est ainsi.
Je le dirais très rapidement : Il y a eu une génération, en train de disparaitre, qui a assisté aux événements contemporains de la Shoah et de la restauration de la nation d’Israël. Deux événements massifs au centre de la signification de notre histoire : l’exil et la fin d’exil, la Shoah d’un côté et la restauration de la nation d’Israël après 2000 ans d’interruption de l’autre. Ceux qui ont vécu cela ont assisté à ces événements. Si ceux qui n’y ont pas assisté ne reçoivent pas la transmission de ce récit de ceux qui l’ont vécu, ils ne sauront jamais de quoi il s’agit.
Les premières enquêtes en France sur les événements du temps de la Shoah et du nazisme ont montré cette ignorance des événements du nazisme dans la jeunesse. C’est très rapide.
De même pour la nouvelle génération de jeunesse juive qui n’a pas connu ce passage du monde ancien au monde nouveau et qui ne connait pas ce qu’était l’histoire du monde sans Israël, du monde des Hébreux comme au temps d’Egypte soumis à l’esclavage total, et où subitement la sortie d’Egypte a eu lieu avec l’événement de restauration de l’état et de la nation d’Israël.
Et je crois que c’est très parallèle : si cela n’est pas gardé par une comémoration de mémoire qui remémorise, aucune idée n’arrivera à restituer ce dont il s’agissait : l’événement de la Shoah d’un côté et l’apparition de l’Etat d’Israël de l’autre.
C’est banalisé lorsque que cela passe par l’intelligence intellectuelle pure et simple, si cette intelligence n’a pas gardé le contenu de mémoire, le Zekher dont il s’agit.
C’est ce que la Torah a prévu.
Étant donné que la sortie d’Egypte qui est la base historique de l’identité de ce peuple qui recevra la Torah corollaire de la sortie d’Egypte est un événement historique, il est donc normal que la génération suivante doive interroger la génération précédente. D’où cette catégorisation en 4 attitude de la question de l’enfant.
On retiendra surtout ce verset du chapitre 13 verset 14 de l’Exode.
Un verset corollaire se trouve dans le Deutéronome, Chapitre 6 verset 20.
Veat’hanane 6:20-23
Ki-yish'alcha vinkha ma’har lemor mah ha'edot veha’houkim vehamishpatim asher tsivah Adonay Eloheynou etkhem.
« Lorsque ton fils t’interrogeras demain en disant :
que sont ces témoignages, lois et statuts que Hashem notre Dieu vous a ordonné ?
Ve'amarta levinkha avadim hayinou le-Far'oh beMitsrayim
vayotsi'enou Adonay miMitsrayim beyad ‘hazakah
tu répondras à ton fils : « nous étions esclave de Pharaon en Egypte.
Et Dieu est intervenu pour nous faire sortie avec une main forte... »
La Torah indique ici que de cet exil on ne sort pas : C’est indiqué de façon très claire dans le Talmud : il y avait une telle programmation de l’esclavage dans la nation d’Egypte que c’était impossible sans l’intervention divine. Si Dieu n’était pas intervenu nous serions encore là-bas.
Encore une fois :
On n’aurait pas pu diagnostiquer cela si l’on avait pas vécu les événements du temps de la Shoah !
Lorsque le piège s’est refermé sur l’Europe, et sur l’Asie et l’Afrique, là où se trouvaient les colonies de l’Europe et où les Juifs étaient tout aussi en danger, il était impossible d’en sortir.
On ne sortait pas plus de la prison d’Egypte que de celle de l’Europe au temps du nazisme.
Il faut une intervention miraculeuse pour que cela puisse se faire.
Je crois que nous pouvons prendre appui sur ce qui s’est passé – à condition de le mémoriser suffisamment et ne pas l’oublier – de telle sorte de comprendre ce que voulait dire tous ces textes en nous disant que la sortie d’Egypte était un évènement miraculeux, qui d’après les situations existentielles quis ont désignées ne pouvaient pas avoir d’issu sinon par une intervention de l’extérieur même.
Je vous propose de commencer par étudier très succintement la structure de la Hagadah :
Q : si le problème moral de Qaïn-Abel est resté le même jusqu’à aujourd’hui n’est-ce pas finalement aussi une faillite de la Torah du peuple juif ?
R : C’est une faillite de l’humanité. La Torah nous a donné la problématique qu’il faut résoudre en allant directement à l’essentiel. Dès que deux personnes sont en présence se pose le problématique de Qaïn et Abel. Ce n’est pas pour rien que le message essentiel des prophètes donné pour les temps dits messianiques : c’est un temps où Qaïn ne tuera plus Abel. Le temps de la paix. Et on voit bien que l’humanité est encore aux prises avec ce problème. Elle ne trouve pas la solution existentielle pour que cela réussisse. J’ouvre une petite parenthèse sur cette problématique-là. Il faudrait beaucoup de temps pour analyser l’exégèse des versets qui la formule, et je vais donc schématiser de façon abstraite sans prendre le temps de trouver les versets qui la fondent : il y a a eu 4 théories ou solutions entrevues dans l’histoire de l’humanité pour résoudre le problème Qaïn-Abel :
Dès que deux sujets humains sont en présence, l’acte d’histoire, quel qu’il soit, de relation entre les deux, fait que l’un des deux devient objet. Il est aliéné comme on dit dans le vocabulaire contemporain. En principe, il y a deux sujets en relation. Mais toute relation de sujet à sujet finit par transformer un des deux sujets en objet.
Je vous donne un exemple simple : Je suis en train de vous parler : dans ce fait que je vous parle je suis sujet et vous êtes objets. Et par conséquent, je dois, pour résoudre ce problème de la relation à autrui, parler de manière telle que la dignité du sujet reste intacte ; et que je ne vous transforme pas en objet. Il y a une manière de parler qui transforme l’interlocuteur en objet et qui est interdite. Inversèment, vous m’écoutez, et là vous êtes sujets et moi je suis l’objet. Dans le même événement.
Il y a donc aussi une manière d’écouter qui doit réintègrer la dignité du sujet qui parle.
C’est ce qu’on appelle dans toutes les civilisation, la politesse, dans le sens étymologique, préalable à toute morale : l’art de vivre ensemble dans la cité... (Cf. le terme grec « Polis » la cité.)
1- Il y a donc une tendance de la civilisation humaine qui prend acte de ce caractère fatal. Si tout geste d’histoire conduit fatalement à ce qu’il y ait un sujet et un objet : tu seras l’objet et je serais le sujet... Ce sont les totalitarismes. On voit de suite le profil de la maison d’Egypte en tant que maison d’esclavage. S’il faut un Melekh et un Éved, tu seras le Éved et je serais le Melekh.
2- Ensuite il y a eu une réaction contre cette problématique totalitaire qui est une sempiternelle attitude dans l’histoire. On la trouve officiellement dans le christianisme. Puisque toute geste de relation à autrui conduit à cette fatalité du maitre et de l’esclave, je serais l’esclave et tu seras le maitre. C’est préférable plutôt que le crime d’être maitre d’un esclave. L’autre c’est le Seigneur. Et moi je suis son serviteur. Je dis bien que c’est théorique, c’est le sermon sur la montagne. Aucune société chrétienne n’a vécu comme cela. C’est le sermon sur la montagne dans les textes évangéliques, c’est juste théorique. Aucune civilisation chrétienne ne l’a mis en pratique. C’est un idéal théorique mais les sociétés vivent dans le 1er modèle. Il y a là aussi ici échec. C’est une sorte d’héroïsme « sacerdotal ». Voir tous ces personnages des romans chrétiens qui montrent l’idéal du héros de la vertu qui consiste à être le sacrifié. Mais en fait cela ne fonctionne pas come ça dans la société. Il n’y a que dans certains couvents, cette attitude d’humilité du sacrifice comme étant la solution, la réponse, au problème moral mais qui ne résoud pas vraiment le problème ou tout juste au niveau individuel ou local (le couvent...), mais il y a toujours une victime !
3- 3ème tentative : C’est le fait des spiritualités, philosophie religieuse d’extrême-orient. Je pense en particulier au bouddhisme. Puisque tout geste d’histoire entraine ce crime qu’il y ait un maître et un esclave alors il faut donc arrêter l’histoire : la formule n’est plus sujet-objet mais objet-objet. C’est la disparition du sujet ; on arrête l’histoire : objet-objet, il n’y a plus de sujet – le terme technique philosophique c’est l’ataraxie. Relation objet-objet. J’ai l’habitude de citer un proverbe chinois à ce sujet : « Il veut mieux être assis que debout, il vaut mieux être couché qu’assis, il vaut mieux être mort que couché... ». La seule manière d’arrêter la souffrance c’est d’arrêter l’histoire. C’est là l’idéal de l’ataraxie. Vous voyez se profiler derrière tout ce qui fait au fond l’étoffe même de ce qui fait la spiritualité extrême-orientale : la dissolution de l’individu dans le grand tout, l’état de Nirvana... l’individu est dissous... pour pouvoir être heureux il ne faut plus être...etc. Là encore, le problème est vu mais on ne trouve pas la solution !
4- La 4ème position : c’est celle que propose la Torah. Solution juive : pour pas qu’il n’y ait d’objet il faut que chacun considère son prochain comme supérieur, il faut que cela soit réciproque : chacun reconnait l’autre comme supérieur : il y a donc deux supérieurs et pas d’inférieur ! Mais c’est l’échec si cela n’est pas réciproque - tu aimeras ton prochain comme toi même. – double relation sinon échec. Au niveau du langage le salut « Monsieur » c’est « Mon Seigneur » comme « Adoni » en ivrit. Chez les Goyim « mon Seigneur » : je te reconnais comme mon maitre. Mais il faut une réciprocité pour éviter l’échec du sujet transformé en objet.
Vous voyez à quel point c’est simple à comprendre mais c’est très difficle à entreprendre. Comment se comporter pour réintégrer la dignité du sujet dans toute relation à autrui ?
On en voit l’exemple dans ce dialogue qui se cherche entre Yaaqov à Essav : il lui dit Adoni et Essav se prend au sérieux, alors il y a échec…
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